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Ny fonja eto Antsirabe - La prison à Antsirabe

  • Photo du rédacteur: Louise Petit
    Louise Petit
  • 10 juil. 2018
  • 7 min de lecture

Liva José, Zakamanana, Solofa, Christophe, Ravaka, Laza Pierre… Ils ont entre 15 ans et 48 ans, sont malagasy, prisonniers dans la prison d’Antsirabe et suivent les cours de français que je donne chaque samedi matin depuis trois mois.

Photo : Carl Hocquart


En arrivant à Antsirabe, en parallèle du volontariat au sein de l’association Cœur de Forêt, je souhaitais m’impliquer dans une autre structure et faire du bénévolat sur mon temps libre.

Mon profil et mes expériences antérieures m’auraient davantage tournée vers de l’animation auprès d’un public jeune, vers du soutien scolaire ou de la sensibilisation à l’environnement…

Enfants des rues, jeunes déscolarisés, personnes handicapées, orphelins… J’avais pensé à beaucoup de catégories aux situations, aux besoins et aux attentes différents, mais je n’avais jamais envisagé de travailler avec des détenus.

Et pourtant, les rencontres, les événements et les circonstances m’ont menée dans la prison d’Antsirabe, située à 20 mètres de l’endroit où je réside.

Je passais devant chaque matin, chaque soir… Mais à aucun moment je ne m'étais posé des questions sur les conditions de détention dans cet établissement : nombre de prisonniers, pourcentage de femmes et de mineurs, repas, cellules, liens avec les familles…

Avec du recul, je me rends compte que par le passé, j’ai souvent regardé "à l’extérieur" plutôt que de m'intéresser à ce qui m’entourait directement (métier de mes parents, faune et flore locale, situation des voisins…).

Et là encore, à Antsirabe, une prison se situait dans mon quartier, à quelques mètres de chez moi, et je n’y prêtais aucune attention…

Jusqu’au jour où j’ai rencontré Anne, une Suissesse venue à Madagascar en tant que professeur de français, qui, en plus de donner des cours de français dans un collège-lycée, en proposait aussi au sein de la prison. Anne allait repartir en Suisse et cherchait quelqu’un pour reprendre l’activité afin que les cours puissent continuer tout au long de l’année. Et je me suis proposée pour la remplacer...

Je n’avais aucun a priori sur la prison, sur les prisonniers, je n’avais aucune information à leur sujet. Je n’étais jamais rentrée dans une prison et ne connaissais vraiment rien sur le milieu carcéral… J’y allais les yeux fermés, avec beaucoup d’insouciance et une bonne dose de naïveté.



La prison d'Antsirabe

A Antsirabe, la prison a une capacité d'accueil d'environ 200 à 300 détenus. Pourtant, elle compte aujourd'hui plus de 700 détenus de tous âges (y compris des mineurs). A ce chiffre s’ajoute une cinquantaine de femmes enfermées dans un espace minuscule, dont certaines sont enceintes ou allaitent des bébés rachitiques nés en prison...


Les trois quarts des détenus sont en attente de jugement. Certains sont en préventive pendant des années pour des délits mineurs. Pour le cambriolage d’une maison, le vol d’une poule ou une bagarre en état d’ébriété, certains font jusqu’à 5 ans, voire davantage dans cette prison, sans même avoir été condamnés.


Photos : Carl Hocquart (intérieur de la prison d'Antsirabe)



250 grammes de manioc... C'est l'unique repas quotidien auquel ont droit les détenus.

Les familles et les proches des prisonniers peuvent aussi apporter de la nourriture lors des visites.

Photo : Carl Hocquart (préparation du manioc)


Surpopulation carcérale, vétusté, sous-nutrition, insalubrité... A Madagascar, les conditions de détention sont inhumaines.


« Première fois »


J’ai pu entrer dans la prison pour la première fois lors de la "passation" entre Anne et moi. Une porte, deux portes, trois portes… On croise des regards. Les premiers sont ceux des gardes, dans leur uniforme ultra propre… Petites réflexions sexistes et déplacées par-ci par-là, des sourires, des sifflements… Je ne ressens ni stress ni anxiété… peut-être que mon esprit s’est déconnecté le temps de la visite. Je ne ressentais rien. Ni tristesse, ni compassion, ni peur… Rien. J’étais "vide", j’avançais, machinalement. On entre ensuite dans la cour où se trouvent des dizaines et des dizaines de détenus. Je n’ose pas regarder, je vois simplement des silhouettes qui se tiennent debout face à moi. On se faufile et on arrive enfin à l’arrière du bâtiment, entre deux espaces fleuris et deux potagers où je découvre une toute petite salle de classe. Les élèves nous attendent déjà. Ils sont une dizaine, assis, me regardant avec de grands yeux… Je remarque très rapidement qu’il n’y a pas que des majeurs dans la classe et que certains des élèves doivent avoir à peine 15 ans… (Anne me le confirmera ultérieurement). Les présentations faites, je ne m’attarde pas et laisse Anne faire son pot de départ et me redirige vers la sortie.


7 jours plus tard, les cours pouvaient commencer.



Des absents, des nouveaux.


Ici, la routine n’existe pas. Chaque samedi, ils sont entre 10 et 20 à venir assister (sur la base du volontariat, il n’y aucune obligation d’instaurée) au cours de français que je délivre. Le groupe d’élèves change de semaine en semaine… Certains sont absents une semaine, deux semaines, et reviennent la troisième semaine, certains sont absents pendant la moitié du cours, d’autres arrivent en plein milieu de leçon… Une peine terminée et un départ définitif de la prison, une visite des proches, une "tâche" ordonnée par les gardes (préparation du manioc, rangement…), maladie (tuberculose, grippe…)… Les raisons de ce va-et-vient sont diverses et ne peuvent pas être anticipées. Je découvre le jour même le nombre d’élèves et le groupe avec lequel la leçon va se dérouler. Il est donc assez difficile de demander des révisions ou de faire des cours avec une suite logique, étant donné que le groupe peut changer d’une semaine à l’autre.


Des niveaux très hétérogènes


Lorsque j’ai commencé à donner des cours, ce qui m’a paru assez difficile a été de gérer l’hétérogénéité des niveaux des élèves. Certains ont un bon, voire très bon niveau de français alors que d’autres ne comprennent pas un mot de ce que je peux dire. J’essaie de faire participer chaque élève, que ce soit à l’oral ou à l’écrit… Je propose aussi des exercices à faire à deux afin que les "meilleurs" puissent aider ceux en difficulté. Néanmoins, même s’il y a une bonne ambiance et une bonne dynamique collective, je pense diviser la classe en groupes de niveaux pour la rentrée scolaire du mois de novembre prochain afin d’avoir un suivi plus personnalisé de chaque élève.


Photo : Exercices réalisés par les élèves



Enseigner à des adultes


Enseigner une matière à des enfants ou à des adultes est complètement différent. Mes élèves sont majoritairement beaucoup plus âgés que moi et je ne peux pas faire de leçons autour des animaux, de l’école, des couleurs ou encore des loisirs. Il fallait faire un malagasy "pratique" tout en restant ludique. Pour les préparations de mes cours, je m’inspire de ce que proposent les sites de FLE (Français Langue Etrangère), mais beaucoup sont adaptés pour un public jeune et "occidental".


Apprendre une langue lorsqu’on ne maîtrise pas celle des élèves…


Au fil des cours, je me suis rapidement rendue compte qu’il était très difficile, voire impossible, d’apprendre une langue lorsqu’on ne maîtrise pas soi-même la langue des élèves. Mes modestes "bases" en malagasy m’aident quelquefois mais j’ai surtout la "chance" d’avoir deux élèves, présents à chaque cours, qui maîtrisent très bien le français et font les traductions des consignes. Si les élèves avaient un niveau moyen, avancé voire bon en français, je pense que je pourrais me débrouiller. Mais comme je l’ai dit précédemment, certains ne parlent pas un mot de français… Pour ceux qui n’ont aucune base, il est très difficile de leur expliquer ce que je veux leur enseigner. Donner des cours de français à des Malagasy lorsqu’on est une "vazaha" (étrangère), d’accord, mais il faut maîtriser le malagasy ou alors avoir des élèves avec un niveau avancé (renforcement ).


Des détenus ? Non, des élèves.


"Mais c’est sécurisé quand même ? Il y a des gardes qui surveillent ? Ils ne peuvent pas t’attaquer ?"… Lorsque j’ai annoncé à mes proches que j’allais donner des cours de français dans une prison, tout le monde avait des craintes sur le niveau de sécurité et sur les éventuels risques et dangers que j’encourrais.


"Faites attention, derrière les sourires se cachent des bêtes féroces"…

Voilà ce que m’avait dit un des gardes à l’entrée de la prison. Malgré les "avertissements", malgré l’absence de surveillants et de fouilles… je n’ai jamais peur, je ne me sens jamais en insécurité dans la salle de classe. Je ne connais pas la raison de l’incarcération des détenus et je n’ai pas à le savoir. Certains sont ici depuis 2 ans, 5 ans, 10 ans et même 18 ans. Certains ont volé un zébu, d’autres ont cambriolé une maison… D'autres ont violé, tué… Mais quand les détenus franchissent la porte de classe, ce sont des élèves "sans passé". Le temps d’un cours, nous faisons abstraction de l’endroit où nous sommes. La prison devient alors un lieu d’échanges et de prise de distance, un lieu de respect et de confiance.



Cela fait maintenant trois mois que je donne deux heures de cours chaque samedi matin à la prison. Je prends beaucoup de plaisir à faire cette activité. Ce sont des moments de partage, d’échanges, de questionnements, de rire, de complicité… Même si tous les élèves ne progressent pas comme je l’aimerais, même si certains ne prennent pas de notes pendant les cours, même s’ils ne révisent pas, même si je me demande souvent à quoi leur servent (et leur serviront) ces cours… Je pense que ces deux heures leur permettent de se "déconnecter" de la vie carcérale et que nous passons tous un "bon" moment.


Les cours de français se terminent début août et reprendront au mois de novembre (l’école à la prison suit le calendrier des établissements scolaires malagasy). J’ai proposé au Directeur de l’Ecole de continuer les cours ou de mettre en place des activités d’éveil artistique (dessins, peinture…). Je verrai par la suite comment les choses se dérouleront…


Photo : Carl Hocquart

( "Jamais mort" puis, dessous, en malagasy : "Maman, oseras-tu m'abandonner?")




Pour aller plus loin... :

1 - Madagascar : la double peine, détention et malnutrition - VIDEO


2 - Déclaration publique - Amnesty International : Madagascar. Surpopulation


3 - Découvrez les autres photos de Carl Hocquart réalisées dans la prison d'Antsirabe ici : http://carlhocquart.photodeck.com/-/galleries/prison-madagascar-antsirabe




 
 
 

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"L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde"

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