L'éducation environnementale à Madagascar : limites, freins et difficultés
- Louise Petit
- 28 juin 2018
- 7 min de lecture
Plus de trois mois sans écrire un seul article… Oups, je me rends compte que les jours passent vraiment à une vitesse folle et que l’animation d’un blog demande du temps ! Non je ne suis pas partie en vacances, je ne suis pas tombée malade, je ne suis pas rentrée en France… Toujours à Antsirabe, toujours dans l’équipe Cœur de Forêt, et toujours à travailler sur la sensibilisation et l’éducation à l’environnement !

Photo : Pierrot Men
Depuis mon arrivée, j’ai vraiment pu prendre le temps de me familiariser au contexte qui m’entourait (environnemental, culturel, socio-économique…). Échanger, rencontrer, se questionner, s’énerver, baisser les bras, se remotiver, trouver des solutions, émettre des hypothèses, ne plus hésiter, se lancer… Je dois avouer que l’expérience ici est un questionnement continu. Une question en amène une autre, un sujet en amène un autre… Et on se retrouve rapidement à ne pas voir la fin du raisonnement (si fin il y a).
En tout cas, la prise de recul a été nécessaire afin d’élaborer et proposer un plan d’actions d’éducation et de sensibilisation pour l’association Cœur de Forêt.
Un document qui avait une double perspective :
- D’une part, une perspective de connaissance, par l’analyse d’un état des lieux sur les pratiques, les acteurs et les outils en matière d’éducation et de sensibilisation à l’environnement dans la zone d’intervention définie
- D’autre part, une perspective opérationnelle pour fournir des pistes d’actions à développer pour la mise en œuvre d’activités d’éducation et de sensibilisation à l’environnement.
Cela fait maintenant 5 mois que je suis arrivée à Antsirabe. Parfois je me dis qu’avoir passé 5 mois sans être dans « l’opérationnel », ça peut paraître beaucoup. Mais au final, je pense sincèrement que ce temps était nécessaire pour avoir une vision globale du contexte local afin de pouvoir proposer des actions cohérentes et pertinentes, prenant en compte les réalités vécues ici.
Pour cet article, je souhaite revenir sur des éléments qui me laissent relativement perplexe… Ce genre d’éléments qui te fait vraiment penser que rien ne tourne rond, et qu’entre belles paroles et réalité de terrain, il y a un monde.
Politiques et stratégies nationales d’éducation à l’environnement à Madagascar
Madagascar est engagé sur la voie de l’Éducation relative à l’Environnement (ErE). En effet, le Gouvernement Malagasy est convaincu que l’éducation relative à l’environnement de la population est un élément essentiel pour parvenir à une harmonisation entre les besoins de la population et la gestion pérenne de l’environnement.
L’éducation relative à l’environnement a démarré à Madagascar il y a une trentaine d’années, sous l’impulsion initiale du WWF. Elle n’a été institutionnalisée qu’en 2002 par l’adoption du Décret N°2002-751 fixant la Politique Nationale d’Éducation Relative à l’Environnement (PERE). En 2013, la PERE a été remplacée par la Politique Nationale de l’Éducation Relative à l’Environnement pour le Développement Durable (PErEDD). Bien que la PErEDD présente une vision et des principes d’action plus clairs que ceux de l’ErE, force est de constater qu’à Madagascar, les progrès en matière d’éducation environnementale en milieu scolaire ont été cantonnés au plan théorique, sans déboucher sur des actions concrètes. Les liens entre l’environnement et les questions sociales et économiques sont restés flous. En effet l’impact des nombreux programmes d’éducation environnementale est peu perceptible : la dégradation de l’environnement a atteint une proportion alarmante au cours des dix dernières années.
Des outils développés
Une des choses qui m’a assez surprise ici était le nombre d’actions de sensibilisation à l’environnement mises en place à Madagascar. De plus, les outils sur l’environnement ne manquent pas : du magazine ludique au guide pédagogique en passant par les contes pour enfants…
Des outils de qualité que je vous présenterai dans un prochain article!
Pourtant, sur la zone du district Antsirabe II où nous souhaitons intervenir avec l’association, que ce soit au niveau des enseignants (écoles primaires, collèges, lycées) ou au niveau de la CISCO (chef Cisco, responsable de l’Office de l’Education de Masse et du Civisme…), aucun de ces outils ne leur est parvenu. Il en va de même pour des acteurs comme l’association GSDM ou l’APDRA, qui ne semblent pas être au courant de l’existence de ces outils.
Il convient donc de préciser qu’il ne suffit pas de produire des outils, il faut en assurer la disponibilité, améliorer l’accès à ces ressources et veiller à leur « bonne » utilisation.
Des difficultés inhérentes au système éducatif qui peuvent limiter l’efficacité de l’éducation environnementale
- Manque de ressources humaines et de moyens techniques, qui entrave la démarche éducative en milieu rural, où de nombreux efforts doivent être fournis.
- Malgré l’existence d’ONG et d’associations de protection de l’environnement, il existe peu de liens établis entre ces dernières et l’école. Or, ces organisations pourraient soutenir les actions réalisées en milieu scolaire, en fournissant l’information ou un support technique ou pédagogique. L’école se « débrouille » généralement seule dans la pratique de l’ErE et ne reçoit que très rarement un appui extérieur pour la réalisation d’activités sur le thème de l’environnement.
- Les modalités d’enseignement-apprentissage sont centrées sur la mémorisation des contenus, au détriment des savoirs et des savoir-faire. D’une manière générale, les pratiques et les méthodes dans l’enseignement sont peu actives et ne favorisent pas une bonne compréhension des notions de base sur l’environnement. Malgré toutes les orientations bien exprimées dans les programmes insistant sur les approches actives (expérimentation, sorties de terrain, projection de films, analyse de cartes, etc), l’élève reste confiné dans un rôle de récepteur passif, sans aucune prise en compte de ses attentes, de ses motivations ou de l’intérêt important qu’il peut porter à l’environnement. Il en résulte donc un sérieux problème d’inefficacité des apprentissages.

Photo : TeachForMadagascar
Les apprentissages de l’environnement, ainsi proposés, s'articulent principalement autour de l'identification des caractéristiques biophysiques de l'environnement et sur les différents aspects de dégradation et de pollution. La portée éducative ultime de ces apprentissages, en terme de compétence, permettra aux élèves, certes, d'acquérir des connaissances et d’avoir une sensibilité environnementale qui leur permettant d’être conscients des problèmes environnementaux, mais sans développer les comportements requis pour un engagement individuel et collectif dans la résolution des problèmes de la nature.
Ce résultat amène à dire que la méthode traditionnelle dogmatique qui domine les pratiques d’enseignement-apprentissage dans les classes, constitue un handicap majeur de l’enseignement des contenus de l’EEDD au sein du fondamental.
La mise en œuvre de l’ErE dans le milieu scolaire se heurte à diverses difficultés d'intégration, notamment liée à :
> la surcharge des programmes d’études (les enseignants interrogés affirment qu’ils n’arrivent pas à aborder toutes les dimensions des thèmes traitant l’environnement)
> au manque de temps chez les enseignants (ils ne disposent pas d’assez de temps pour intégrer l’ErE)
> au manque d’information concernant l’environnement, manque de formation en ErE (nombreux sont les enseignants qui n’ont pas de connaissances sur l’environnement)
> au manque de matériel didactique D’autres problèmes constatés (source : Valeurs scientifiques et références en Education Relative à l’Environnement à Madagascar) :
- Les acteurs sur terrain ont leur propre conception de l’Éducation Environnementale
- Les stratégies et les approches ont été développées selon les acteurs, les publics cibles et selon les réalités sur terrain.
- Les finalités de l’Éducation Environnementale sont divergentes. Les uns la proposent comme un moyen et une alternative pour appuyer la conservation ; les autres la développent pour aboutir à un réflexe environnemental (faute sans doute de stratégie commune).
- Différentes approches ont été développées avec plusieurs types d’outils dont le contenu et la forme sont presque tous différents. Souvent, elles ont été mises en œuvre au niveau des établissements scolaires avec l’appui des ONG, des associations et des Organismes de Conservation et de Protection de la Biodiversité.
- D’une manière générale, les acteurs qui mettent en œuvre l’Éducation environnementale sont spécialisés dans le domaine de la conservation et certains ne possèdent pas les compétences et capacités nécessaire en matière d’Éducation environnementale. La plupart sont des scientifiques ou des techniciens en agronomie, science sociale, mais aucun pédagogue/sociologue. Ainsi, ce sont les activités d’animation et de sensibilisation, de manière ponctuelle et sporadique qui ont été développées. Elles ne développent que les sens, libèrent des informations mais ne diffusent pas les connaissances nécessaires pour une prise de décision induisant le développement de comportement.
- La majorité des outils n’a pas reçu l’aval des Ministères responsables (Ministère de l’Éducation Nationale, le Ministère de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle, le Ministère de l’Environnement et des Forêts et le Ministère Enseignement Supérieure et de la Recherche Scientifique). Ces expériences n’ont donc pas été diffusées ni généralisées.
- De nombreux outils ont été créés mais ont été « distribués » aux enseignants ou aux animateurs, sans véritable formation et sans réel suivi. Des outils ont été créés sans tenir compte des réalités de terrain (outils trop chers, trop « beaux », outils en français...)
S'il y avait une chose à retenir...
Lors d'une visite sur le terrain, j'ai rencontré les enseignants d'un collège situé à quelques kilomètres à l'Est d'Antsirabe.
Quand j'ai demandé aux professeurs de sciences, de géographie et d'éducation civique comment ils mettaient au point les cours, comment ils arrivaient à suivre le programme... Tous ont répondu qu'il était très difficile pour eux d'assurer la transmission des leçons en français, étant donné qu'ils ne parlaient pas et ne comprenaient pas le français.
"On n'a pas toujours le programme scolaire avec nous à l'école. Et de toute façon, il est en français. Nous on veut bien parler d'environnement, d'érosion, de pollution... Mais on ne nous donne pas les moyens de le faire. Nous n'avons pas de matériel, nous n'avons pas d'explications... Où pouvons-nous trouver les éléments pour constituer le cours? En plus de ça, les élèves ont du mal à intégrer les notions étant donné qu'ils maîtrisent très peu le français..."
Paroles d'une enseignante de Sciences Naturelles niveau 4e et 3e
Alors il est sans doute plus judicieux de penser d’abord aux enseignants (cible principale) et non aux élèves (cible secondaire) et de proposer des formations en cascade.
La formation des enseignants est sans doute un point clé de l’intégration de l'Education à l'Environnement dans le milieu scolaire. En éduquant, en formant et en sensibilisation les enseignants, ce sont directement les élèves qu’on éduque, qu’on forme et qu’on motive à devenir des citoyens responsables de l’environnement.
Comments